Vecteur essentiel de développement de l’habitat inclusif, le logement social a investi l’habitat inclusif depuis plusieurs années. Pour un bailleur social, les motivations sont multiples : il s’agit à la fois de répondre aux défis du vieillissement de la population dans leur gestion de patrimoine et de se conformer à un cadre règlementaire de plus en plus exigeant en termes d’adaptation et d’accessibilité. De plus, ces formules d’habitat sont souvent une demande des collectivités locales.
3 chiffres clés sur l’habitat inclusif dans le logement social
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81%des habitats inclusifs portés par des bailleurs sociaux s’adressent à des personnes âgées[1]
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26%des locataires du parc social sont âgés de 65 ans et plus[2]
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35%des personnes handicapées recherchant un logement ces 5 dernières années n’en ont pas trouvé [3]
On constate que les projets sociaux s’articulent souvent autour d’un public de personnes âgées dans des dynamiques intergénérationnelles ou sur un esprit de béguinage (concept VillaGénération de Néolia par exemple). Le focus sur les personnes âgées a tendance à laisser les personnes handicapées en situation de précarité résidentielle, pointant ainsi un besoin de rééquilibrage.
Des évolutions récentes qui encouragent le développement de l’habitat inclusif dans le logement social
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Décret « pris pour application des article 20 de la loi ASV et 109 de la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique »
Permet par autorisation spécifique et sous conditions, d’appliquer le dispositif dérogatoire de l’article 20 loi ASV, dans le parc de logements locatifs déjà existant et conventionnés sans réalisation de travaux.
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Décret « relatif aux subventions à l’amélioration des logements locatifs sociaux » publié le 15 février 2021
Permet d’octroyer des subventions aux bailleurs sociaux pour la réhabilitation de leur parc de logement social pour l’adaptation des logements aux vieillissement et à ce titre d’utiliser le dispositif dérogatoire de l’article 20 loi ASV
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Décret n° 2023–431
Permet désormais de financer également en PLAI les logements-foyers habitats inclusifs (après avis de la conférence des financeurs).
Concilier le projet social et l’enjeu d’amortissement
Des coûts de construction majorés
L’habitat inclusif peut entrainer des surcoûts qui varient en fonction des spécificités des projets. Les raisons de ce surcoût sont principalement liées aux aménagements particuliers (salles de bains adaptées, espaces de circulation, largeur des portes…). Par ailleurs, les normes de sécurité et d’accessibilité imposées aux espaces partagés peuvent engendrer des coûts supplémentaires.
La question du financement des espaces partagés en habitat inclusif
Elle reste un obstacle majeur pour sécuriser ces programmes. Les dispositifs traditionnels de financement du logement social n’intègrent pas de budget dédié pour les espaces partagés, qui, à la différence des logements individuels, ne génèrent pas de revenus locatifs directs. La majoration de loyer associée aux locaux collectifs résidentiels (LCR) est limitée et ne permet pas d’atteindre une rentabilité locative classique.
Le financement de ces surfaces en « espaces commerciaux » (bien plus élevé que du locatif social) ne sont pas soutenables pour des projets destinés à des personnes à revenus modestes. Une autre préoccupation concerne la réversibilité de ces surfaces qui risquent de ne pas répondre aux standards actuels de logements si leur usage devait évoluer (et redevenir du logement classique par exemple).
Le financement du projet de vie sociale et partagée
Si le bailleur social choisit d’internaliser l’animation du projet de vie sociale et partagée, ou s’il fait appel à un tiers exploitant mais sollicite lui-même l’aide à la vie partagée (AVP), il devra se conformer aux exigences des programmations des conférences des financeurs départementales. La réalisation d’habitats inclusifs par des bailleurs sociaux se heurte souvent aux critères de taille fixés par les départements. En effet, les enveloppes AVP couvrent rarement plus de 12 logements, tandis que les programmes proposés par les bailleurs sociaux comptent généralement autour de 20 logements.
La mixité sociale à l’épreuve des mécanismes d’attribution du logement social
Le montage en locatif social peine à garantir la mixité et peut mettre en difficulté le projet de vie sociale et partagée. Comme l’ont relevé Denis Piveteau et Jacques Wolfrom dans leur rapport de 2020[4], le développement d’un projet d’habitat inclusif se heurte à plusieurs problématiques :
- « être accessibles à des personnes à bas revenus,
- mais être aussi accessibles ponctuellement à des personnes à plus hauts revenus, pour permettre la mixité sociale et la présence de résidents « ordinaires », notamment salariés
- permettre une affectation fluide de logements en cas de locataires successifs ayant des niveaux de revenu différents (en évitant, par exemple, qu’un logement libéré qui aurait été financé dans les conditions d’un prêt fortement subventionné (prêt PLAI) doive nécessairement être attribué à un ménage dont les revenus sont sous le plafond applicable à ce même prêt),
- permettre de financer des surfaces conséquentes d’ « espaces communs dédiés à la vie partagée » qui sont au cœur d’un projet d’habitat API,
- et être assorties d’un mécanisme d’attribution des logements spécifique, afin de le cibler sur les candidats à une vie en habitat API. »
Les rapporteurs proposent la mise en place d’un prêt panier spécifique aux opérations d’habitat inclusif permettant davantage de souplesse et de mixité tout en intégrant les surfaces communes dédiées au projet de vie sociale et partagée.
Déterminer la bonne option de portage et de montage
Le code de l’action sociale et des familles prévoit deux solutions pour le montage d’habitats inclusifs dans le logement social :
- Soit dans le logement social « ordinaire », logement pérenne, loué nu, avec un bail de droit commun qui s’appuie sur l’article 20 de la loi ASV. Cet article introduit la possibilité de prioriser l’attribution de logement en faveur de personnes en situation de perte d’autonomie liée à l’âge ou au handicap. Le locataire sera redevable d’un loyer, aucun service ne pourra y être inclus contrairement à la redevance prévue dans le cadre du logement-foyer. Cette option est incontournable dans un immeuble de logements familiaux existant sans travaux car la convention logement foyer n’est pas applicable dans ce contexte.
- Soit en logement-foyer, montage qui relève de l’article L633‑1 du CASF : ilsassurent le logement dans des immeubles comportant à la fois des locaux privatifs et des locaux communs meublés ainsi que, le cas échéant, diverses prestations annexes telles que blanchissage, service de soins ou services sociaux éducatifs et par extension également des services d’animation de la vie sociale et partagée des habitants. La différence porte notamment sur le paiement d’une redevance lié au contrat d’occupation et non d’un loyer comme dans le premier cas ainsi que des spécificités liées à la convention APL. Le fonctionnement d’un habitat inclusif constitué dans un logement-foyer soulève néanmoins de nombreuses interrogations pour éviter de fonctionner comme un établissement médico-social. Ce modèle semble davantage développé pour les projets destinés à des personnes en situation de handicap et ne peut concerner que des personnes qui souhaitent vivre dans un logement individuel (pas de colocation). De plus, dans le cadre d’un projet de construction (neuf) avec une mixité de population (un habitat inclusif au sein d’un immeuble avec des logements sociaux « familiaux »), le montage sous forme de « logement-foyer » impliquerait la signature de deux conventions APL complexifiant la gestion pour le bailleur. Enfin, la contrainte de la préprogrammation par le maitre d’ouvrage, la lenteur de mise en œuvre et l’impossibilité de changer la destination initiale de l’ouvrage limitent de fait le développement de l’habitat inclusif en logement-foyer.
Ensuite, les bailleurs sociaux disposent de plusieurs options de gestion :
- Soit ils internalisent l’animation et la coordination du projet de vie sociale et partagée, développant ainsi une nouvelle activité au sein de leur organisation.
- Soit ils confient cette activité à un tiers, souvent associatif, et de plus en plus souvent médico-social, en s’appuyant sur une approche collaborative et partenariale. La collaboration devra reposer alors sur une convention définissant le rôle de chaque partie, notamment au sujet de l’attribution des logements.
Les projets d’habitat inclusif présentent des modalités de gestion locative adaptée qui sont souvent assurées par l’acteur qui met en œuvre le projet de vie sociale et partagée. C’est ce dernier qui supportera alors le risque de vacance locative.
Quelles que soient les options retenues pour le portage et le montage, il est indispensable que l’élargissement de l’offre par l’habitat inclusif s’accompagne d’un renforcement des compétences du bailleur dans ce domaine spécifique. En effet, l’habitat inclusif va bien au-delà de la simple proposition de logements adaptés ou au déploiement de services de soutien pour les habitants. Il s’agit d’une démarche visant à favoriser le vivre ensemble et les envies communes, ce qui ne peut ni se décréter ni s’imposer. Cette ambition repose sur un processus de longue haleine, nécessitant des outils dédiés et une adaptation des pratiques professionnelles très spécifiques.
L’habitat inclusif, c’est la thématique retenue par l’Union Sociale pour l’Habitat (USH) dans le cadre des journées professionnelles qui se tiendront le 5 décembre prochain à l’Auditorium du journal Le Monde. Bernadette Paul Cornu, codirigeante du groupe associatif Familles Solidaires témoignera en tant que gestionnaire d’habitat inclusif à cette occasion.
Familles Solidaires accompagne de nombreux bailleurs sociaux dans la structuration et le montage de leurs projets internes comme par exemple :
- Accompagnement au montage du projet et identification des meilleures options de portage
- Sensibilisation des équipes à la perte d’autonomie et à l’adaptation spécifique des logements
- Accompagnement à la formalisation d’un processus autour du projet de vie sociale et partagée
- Structuration de l’offre pour répondre aux besoins des personnes âgées ou handicapées
- Conventionnement avec l’association exploitante
- Formation des professionnels de l’animation coordination
- Mise en place de démarches participative avec les habitants ou futurs habitants
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Nous les avons accompagnés en conseil ou formation :
[1] https://www.cnsa.fr/sites/default/files/2024–08/PUB-20240801-Synthese-CFHI-2022-vf.pdf
[2] Enquête annuelle auprès des locataires du parc social Résultats 2024, ANCOLS
[3] Source : Enquête du défenseur des droits sur les discriminations
[4] https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/274908.pdf