Table des matières
Dans cette actu, nous reviendrons sur le bilan quantitatif et qualitatif de l’aide à la vie partagée (AVP), les normes incendie, le rapport de l’IGAS, les arrêtés de fermeture récents et les outils pratiques dédiés à l’habitat inclusif !
Les politiques publiques de l’habitat inclusif
La dernière session de l’observatoire national de l’habitat inclusif s’est tenue le 16 mai dernier. Séance très attendue par les acteurs de l’habitat inclusif car la dernière rencontre datait de septembre 2023 et était essentiellement consacrée à la règlementation incendie.
Pour rappel, cette instance nationale créée en mai 2017 est coprésidée par la DGCS, la DHUP et la CNSA. Elle est composée d’acteurs publics et institutionnels, de structures associatives et de l’économie sociale et solidaire, de porteurs de projets et têtes de réseau. Cette instance est notamment à l’origine d’un guide et d’un cahier pédagogique dédié à l’habitat inclusif. Elle a permis de nombreux débats autour de la loi ELAN et de l’arrêté du 24 juin 2019 qui y succéda.
L’ordre du jour proposait de faire un point d’étape sur le déploiement de l’habitat inclusif et de revenir sur les dispositions de la loi bien vieillir et ses textes d’application. Le comité de pilotage de l’ONHI a proposé un format inédit aux participants en les invitant à prendre part à des ateliers sur le parcours des habitants en habitat inclusif et l’animation des territoires.
Un secteur qui se professionnalise
Le secteur de l’habitat inclusif tend à s’éloigner d’un modèle « familial », il se professionnalise et c’est sans doute mieux ainsi. Bien qu’il soit encore dépourvu d’une représentation professionnelle de type branche ou fédération, il s’est doté :
- d’un modèle de gouvernance national co-piloté par la DGCS (Direction Générale de la Cohésion Sociale), la CNSA (Caisse Nationale de Soutien à l’Autonomie) et la DHUP (Direction de l’Habitat, de l’Urbanisme et des Paysages). L’élan interministériel lancé en février 2021, renouvelé en février 2023 par 4 nouveaux ministres et une nouvelle fois déstabilisé en janvier 2024 avec l’arrivée de Catherine VAUTRIN n’a finalement que très peu dépassé le stade des annonces.
- d’un modèle de gouvernance local avec la mise en place de la conférence des financeurs de l’habitat inclusif dans les départements. Bien entendu, sa composition varie en fonction des départements. En Mayenne par exemple, elle est composée du couple ARS-CD qui la copréside, de l’AGIRC ARRCO, CARSAT, MSA, Mutualité Française, CPAM, 3 bailleurs sociaux, Direction départementale de l’Emploi, du travail, des solidarités et de la protection de la population, Laval Agglomération en tant que délégataire des aides à la pierre.
- d’un mode de financement dédié à travers l’AVP (Aide à la Vie Partagée) qui deviendra à partir de 2025, le seul financement dédié (remplaçant le forfait habitat inclusif sur tous les territoires). Financement sur lequel nous reviendrons plus loin.
- d’un cadre juridique qui se renforce depuis 2018 avec l’élaboration de la loi ELAN. Depuis son émergence juridique, l’habitat inclusif s’est surtout caractérisé par ce qu’il n’est pas, le singularisant du montage et du fonctionnement des établissements médico sociaux et des règles applicables aux ERP (Etablissements Recevant du Public). Cela a permis la souplesse nécessaire pour faire émerger des projets de toutes tailles, destinés à des publics présentant des degrés d’autonomie différents, installés dans le parc privé ou social et le tout piloté par des personnes morales appelées 3P de différents horizons (privés lucratifs, associations, entreprises de l’ESS, acteurs privés, bailleurs sociaux, établissements gestionnaires…). L’ossature juridique tend à se solidifier, les futures normes incendies dédiées à l’habitat inclusif viendront sans doute le confirmer.
- D’outils dédiés : le cahier pédagogique de l’habitat inclusif [1], la météo d’un projet de vie sociale et partagée [2] et d’ici quelques mois, la mise à jour du guide de l’habitat inclusif [3] ont été élaborés par les acteurs institutionnels. Mais nous aurons également l’occasion de présenter d’autres outils pratiques destinés aux porteurs de projet ou animateurs de vie sociale et partagée.
Aide à la vie partagée (AVP) : l’heure du bilan
Rappels utiles sur l’aide à la vie partagée (AVP) :
Depuis le lancement de l’AVP en 2021, les conseils départementaux ont investi le champ de l’habitat inclusif en confiant à la conférence des financeurs de l’habitat inclusif, la construction d’une stratégie territoriale partagée et la transition entre le forfait habitat inclusif et l’aide à la vie partagée. Pour rappel, cette aide à la vie partagée, versée au moment de la prise à bail des habitants, est à la charge des départements. La couverture de la dépense étant financée à hauteur de 80% par la CNSA pour les projets entrés dans une programmation avant le 31 décembre 2022, dans le cadre du financement de la cinquième branche. Pour tous les projets qui ont conventionné après cette date, la dotation de la CNSA diminuera progressivement de 80% à 65% pour se fixer définitivement à 50%. Le montant de l’aide versée est déterminé dans la convention signée entre le Département et la personne 3P. Il ne peut excéder 10 000 € par an et par habitant.
Chronologie de l’AVP
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2021
Promotion de l’AVP par la CNSA sur tout le territoire
24 conseils départementaux engagés
658 habitats inclusifs inscrits dans les programmations
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2022
Les conventions AVP signées avant le 31/12/2022 bénéficient d’une AVP financée à 80% par la CNSA et 20% par le CD
71 nouveaux conseils départementaux s’engagent
1243 nouveaux habitats inclusifs sont inscrits dans les programmations
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2023
Les conventions AVP signées entre le 01/01/2023 et le 31/12/2024 bénéficient d’une AVP financée à 65% par la CNSA et 35% par le CD
47 départements sur les 95 engagés ont relancé une nouvelle programmation
152 nouveaux projets millésimés en 2023
2018 projets au total
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2024
Les conventions AVP signées après le 31/12/2024 bénéficieront d’une AVP financée à 50% par la CNSA et 50% par le CD
La collectivité de Corse s’engage dans le déploiement de l’AVP
Au sujet de l’AVP, fin 2023 [4] :
- 2018 habitats inclusifs inscrits dans les programmations départementales, cela représente 19 189 AVP individuelles
- La proportion entre les projets destinés à des personnes âgées (51,87%) et ceux pour les personnes en situation de handicap (48,13%) reste équilibrée. Ces derniers ont été qualifiées comme étant plus mûrs et opérationnels plus rapidement.
- des reports dans la mise en fonctionnement des projets en raison de causes externes comme les difficultés rencontrées par les acteurs de la construction mais aussi en interne avec des enjeux de gouvernance ou de recrutement des salariés mais aussi de sourcing des futurs habitants.
En 2022, 95 départements ont diffusé des appels à manifestation d’intérêt (AMI) sur leur territoire, seule la moitié d’entre eux a lancé une seconde programmation et un donc un second AMI en 2023. Ainsi, en 2023, ce sont 47 départements qui ont pu faire évoluer leur programmation, soit en apportant des mises à jour sur les programmation 2021–2022, soit en renouvelant les programmations sur 2023.
En 2024, certains départements en sont à leur troisième programmation là où d’autres ont d’ores et déjà verrouillé les enveloppes laissant peu de place aux nouveaux entrants, voire même aux porteurs 3P désormais plus murs qui n’avaient pas réussi à intégrer les primo-programmations.
Prenons un exemple concret : une association développe un projet d’habitat inclusif depuis 4 ans, celui-ci est destiné à des personnes âgées. Le département dans lequel le projet va s’implanter a lancé son AMI en avril 2022. L’association a naturellement déposé son dossier pour pouvoir conventionner avec le conseil départemental. L’association, n’ayant pas encore identifié de foncier pour son projet a été jugée immature par les instructeurs, renvoyant le porteur de projet à une programmation future. Début 2024, l’association a bien avancé, les travaux de rénovation du futur habitat inclusif s’achèvent et l’ouverture est prévue en septembre 2024. Cependant, le conseil départemental vient de lui apprendre qu’aucun AMI n’était programmé pour l’instant sans préciser non plus à quelle échéance il envisageait de renouveler sa programmation.
Les freins auxquels font face les conseils départementaux sont majoritairement d’ordre budgétaire, mais parfois aussi d’ordre idéologique. La promotion de l’AVP a été menée en 2022 par les équipes de la CNSA après un tour de France des régions. Ce soutien fort s’est traduit par l’engagement d’un cofinancement du budget AVP par la CNSA à hauteur de 80%, le restant étant à la charge des départements. Plus la dotation s’amenuise (80% puis 65% puis 50%) et moins les départements lancent de nouveaux AMI. La diminution du taux de participation de la CNSA aux dépenses d’AVP peut expliquer les réticences des départements à reprogrammer des AMI. Mais ce n’est sans doute pas la seule explication.
Virginie COQUET, Chargée de projet habitat inclusif au Département de Loire Atlantique nous partage son constat au sujet des finances des départements :
« Les départements font face à une baisse de leurs recettes notamment des droits de mutation qui représentent souvent un quart de leur budget. Cette diminution est liée à la chute du marché de l’immobilier. À cette baisse des recettes, le département doit faire face à une augmentation des dépenses (notamment parce que les aides individuelles versées par le département RSA, aides aux personnes âgées et aux personnes handicapées sont moins compensées par l’État) et que la démographie et les besoins augmentent avec notamment des créations de nouveaux droits, et des besoins en lien avec l’évolution société (vieillissement et inclusion). Ce contexte a un impact sur l’ensemble des politiques publiques dont le développement de l’habitat inclusif. De plus, ce contexte budgétaire laisse peu de place à l’innovation et au projets d’habitats intermédiaires qui ne s’inscriraient pas dans le cadre de la loi Elan. Un des risques du moment est la standardisation de l’offre… En effet, pour pouvoir bénéficier d’un financement, certains porteurs voient en l’habitat inclusif la solution pour avoir un soutien financier, mettant alors en second plan les besoins et aspirations des habitants sur leur choix d’habiter (habitat regroupe sans espace commun, ou sans vie sociale et partagée). »
Virginie COQUET
Une analyse confirmée par les résultats de l’enquête annuelle sur les dépenses sociales et médico-sociales des départements, publiée ce mois-ci par l’ODAS (Observatoire national de l’action sociale) [5].
« La situation des finances départementales s’est, en moyenne, nettement dégradée entre 2022 et 2023 du fait notamment des effets de l’inflation et d’une réduction des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), dégradation qui pourrait se prolonger en 2024. Les investissements ont cependant continué d’augmenter, et les budgets primitifs 2024 n’infirment pas cette tendance, traduisant le sentiment que le creux de la vague sera sans doute atteint cette année et marquant la résilience des collectivités départementales. Mais bien évidemment, cela nécessitera une amélioration continue des niveaux d’épargne après la chute enregistrée depuis 2023, et sans doute une adaptation des dispositifs de protection des départements les plus fragiles. »
L’étude menée par le réseau HAPA, diffusée début 2024, analyse les programmations AVP dans 39 départements à travers une approche quantitative et qualitative. Elle permet à la fois d’apporter des éléments de contexte sur les programmations AVP des territoires mais montre aussi les difficultés rencontrées par les porteurs de projets.
Elle confirme notamment les données remontées lors de la dernière séance de l’observatoire sur la plus grande maturité des projets destinées aux personnes en situation de handicap. Ces mêmes projets bénéficient d’un montant total d’AVP en moyenne supérieur. Malgré ces défis, l’AVP demeure un levier crucial pour la pérennisation de l’habitat inclusif.
Les résultats montrent une diversité de projets et de porteurs, bien que des disparités et des insuffisances en matière de moyens et de suivi aient été identifiées. L’étude montre également l’hétérogénéité et l’inégalité des pratiques dans l’attribution de l’AVP par les départements. Constats qui avaient déjà été révélés par l’enquête de Familles Solidaires dont les résultats ont été dévoilés en juillet 2023.
L’enquête de Familles Solidaires montre notamment que l’AVP, destinée à financer l’animation de la vie sociale et partagée ne prend pas en compte le temps nécessaire à la structure porteuse du projet pour accompagner le salarié tout au long de son parcours :
- En amont, pour assurer la période de recrutement du salarié : 74,9 heures nécessaires par an selon les répondants. Il s’agit des coûts de diffusion de l’offre d’emploi, organisation des entretiens, rédaction du contrat de travail avec l’appui d’un expert,…)
- Des travaux communs entre animateurs, pour permettre une progression professionnelle. (Exemple : réunions d’échange de bonnes pratiques, groupe de travail thématique) : 73.5 heures soit environ 6 heures par mois.
L’encadrement du salarié tout au long de son activité au sein de la structure (entretien annuel, réunions de coordination de l’activité, échanges téléphoniques…) : 84.4 heures par an soit plus de 7 heures par mois.
Pourtant, permettre à l’animateur/coordinateur de bénéficier d’un appui managérial pour la réalisation de ses missions c’est :
- Lutter contre la solitude et l’isolement que peut entrainer le poste face à différents collectifs (habitants, auxiliaires de vie, bénévoles…)
- Eviter les risques d’institutionnalisation en rappelant la philosophie de l’habitat inclusif (notamment pour les professionnels habitués aux pratiques médicosociales)
- Prévenir les glissements de tâches vers les pratiques du secteur médico-social
- Permettre au professionnel d’affiner sa posture
- Accompagner la montée en compétences (plan de formation…).
Ce coût d’encadrement est estimé à 10 406€ annuels en moyenne par les répondants, auxquels s’ajoutent 477€ de frais de déplacement.
De plus, afin de réaliser ses missions dans les meilleures conditions, un salarié a besoin d’un environnement propice, d’outils, de fournitures et d’équipements adaptés. En effet, il est difficile d’imaginer qu’un animateur coordinateur ne dispose pas d’un ordinateur connecté à internet ainsi qu’un téléphone portable. Ces équipements sont en moyenne estimés à 2006€ par an selon les répondants.
Afin d’assurer les missions liées aux relations partenariales, l’animateur coordinateur est amené à effectuer des déplacements, frais estimés à 1337€ par an en moyenne par les répondants.
Aujourd’hui, le versement de l’AVP est conditionné à la prise à bail des habitants. Du temps du forfait habitat inclusif, le financement pouvait être accordé sans condition d’ouverture de l’habitat. Les Agences Régionales de Santé (ARS), qui avaient le pouvoir de décision dans ce domaine, montraient davantage de flexibilité en autorisant un versement anticipé.
Ainsi, si le porteur 3P souhaite aujourd’hui recruter un animateur avant l’ouverture, il devra engager ses fonds propres. Comment imaginer que l’animation d’un projet de vie sociale et partagée ne démarre qu’à la remise des clés aux futurs habitants ? Nous estimons qu’il est bien plus prudent de recruter l’animateur coordinateur au moins 3 mois avant l’ouverture de l’habitat pour pouvoir démarrer (si ce n’est pas encore le cas) les rencontres entre futurs habitants, pour se former et s’acculturer à l’habitat inclusif, pour préparer ses outils, ajuster ses pratiques professionnelles, préparer l’emménagement, faire connaissance avec l’écosystème, etc.
Bilan de la subvention d’investissement de la CNSA :
Pour rappel, ce soutien a été lancé par la CNSA en 2022 afin de financer des travaux de construction ou de réhabilitation d’espaces partagés mais également d’adaptabilité du bâti. Des subventions dédiées aux projets destinés aux personnes âgées pouvant aller jusqu’à 50 000€ chacune.
- En 2022 : 99 habitats inclusifs ont été soutenus pour un total de 6,2M d »€ dans 25 départements volontaires.
- En 2023 : ce sont 103 autres habitats inclusifs qui ont été soutenus pour un total de 7,5M d »€ dans 29 départements volontaires.
Cette subvention se poursuit en 2024 mais combien de porteurs de projets vont pouvoir en bénéficier ?
En effet, pour prétendre à cette subvention, le 3P doit :
- Etre situé dans un département volontaire. Seuls 1⁄3 des départements sont entrés dans ce dispositif en 2023,
- Porter un projet à destination de personnes âgées,
- Avoir signé une convention AVP avec le département au préalable puisque seuls les habitats inclusifs inscrits dans les programmations des dépenses AVP sont éligibles,
- S’inscrire dans un calendrier de construction/rénovation compatible avec les échéances du cahier des charges.
Ce financement reste indispensable pour soutenir la production de logements en France mais il manque d’ambition compte tenu du nombre croissant de nouveaux projets dans les programmations AVP.
Faut-il réguler ?
L’intervention d’une régulation des habitats inclusifs répond à l’inadéquation constatée de certains projets existants sur le territoire. Elle se traduit notamment par une forme de judiciarisation (arrêtés de fermeture) et de normalisation (sécurité incendie).
Où en sommes-nous de la règlementation incendie ?
Petit retour en arrière, nous sommes en février 2023, une décision du Conseil d’Etat provoque le désarroi dans le monde de l’habitat inclusif. En effet, l’instance avait jugé que les logements d’un habitat inclusif situé au Mans constituaient un établissement recevant du public (ERP) de type J, compte tenu « de la concentration en un lieu unique de personnes dont l’aptitude à se soustraire aux effets d’un incendie est nécessairement diminuée, alors que cette aptitude est au nombre des paramètres à retenir pour l’appréciation des mesures en vue d’assurer la sécurité des personnes contre l’incendie ». Cet arrêté tombe comme un couperet puisque depuis toujours cette menace plane sur l’habitat inclusif.
Les réactions ont été immédiates :
- l’observatoire national de l’habitat inclusif, en séance le 20 mars 2023, a convié la Direction Générale de la Sécurité Civile et de la Gestion des crises afin d’échanger sur la sécurité incendie en habitat inclusif.
- Un groupe de travail et des auditions ont eu lieu courant 2023.
- Plus d’une centaine de porteurs de projets, dont Familles Solidaires, ont cosigné un plaidoyer initié par le Collectif Habiter Autrement, destiné aux 4 ministres engagés alors dans le Comité de pilotage de l’habitat inclusif.
C’est un an plus tard que le législateur saisit l’opportunité de la loi bien vieillir et tranche en modifiant l’article L 282–1 du CASF [6]. L’habitat inclusif relève bien de la règlementation des bâtiments à usage d’habitation, cependant, « des règles spécifiques applicables sont à prévoir par voie règlementaire » dans les mois à venir.
Pour l’application des règles de sécurité mentionnées à l’article L. 141–2 du même code, les locaux dans lesquels est établi l’habitat inclusif constituent des bâtiments à usage d’habitation. Des règles spécifiques en matière de sécurité contre les risques d’incendie sont déterminées par voie réglementaire.
Un positionnement législatif à mi-chemin entre le tout sécuritaire dénoncé par les acteurs de l’habitat inclusif et l’absence totale de règles face à des publics en perte d’autonomie. Reste à connaitre la teneur des nouvelles dispositions qui viendront renforcer l’ossature juridique de l’habitat inclusif.
Les arrêtés de fermeture ou de requalification en ESMS
Le risque de requalification des habitats inclusifs en établissements médico-sociaux ainsi que les risques de fermeture constituent une préoccupation majeure pour les porteurs 3P qui développent des projets destinés à des personnes dépendantes. Même si les cas de requalification restent isolés, ce risque repose notamment sur la crainte des autorités de tarification (CD, ARS) ou des Préfets de voir se multiplier des habitats inclusifs offrant des services de soutien et d’accompagnement aux habitants, similaires aux établissements médico sociaux soumis, eux, à des contrôles et autorisations.
QUELS RISQUES ? Une requalification implique, pour la structure gestionnaire de l’habitat inclusif, de se conformer au régime juridique auquel est soumis un établissement d’hébergement sous peine d’entrainer un arrêté de fermeture. Concrètement, cela induit une transformation profonde du cadre opérationnel (personnel qualifié par exemple), règlementaire (normes sécurité, accessibilité, inspections) et financier (tarification « à la place »). Une adaptation substantielle pas forcément compatible avec la flexibilité qui caractérise le fonctionnement des habitats inclusifs. Rappelons également que l’essence de ces projets est de rester avant tout des habitats de droit commun. Afin de se prémunir d’une éventuelle requalification, il est essentiel d’inscrire son projet dans les dispositions juridiques qui encadrent l’habitat inclusif et de clarifier le fonctionnement quotidien.
Revenons un moment sur quelques décisions de requalification et arrêtés de fermeture qui ont suscité beaucoup d’émotions localement [7].
Ces situations présentent un certain nombre de similitudes :
- Sur le montage : des gestionnaires privés, souvent des particuliers, propriétaires du ou des logements et dans certains cas, gérant d’un SAAD intégré. Ces particuliers sont souvent des professionnels ou ex professionnels du médical ou médicosocial (infirmiers, aides-soignants, cadres de santé)
- Sur le fonctionnement : Un contrat de location et un contrat de prestation de services « tout compris » (ménage, linge, repas…),
- Sur le public : principalement des personnes âgées avec différents degrés d’autonomie.
Dans les cas de requalification, les autorités, lors des visites sur site ou à travers des entretiens, collectent un ensemble d’indices. La convergence de ces indices vise à accréditer l’existence de ce que l’on veut démontrer : un fonctionnement similaire aux établissements médico-sociaux sans autorisation ou agrément. Parmi les faits communément reprochés :
- Sur la sécurité : « des risques liés à la sécurité incendie, une non-adaptation au déplacement de personnes à mobilité réduite, plusieurs chambres placées à l’étage », « Absence de détection automatique d’incendie », « Il n’y a pas de sorties de secours, rien de classé au feu », « évacuation rapide et sécurisée des locataires de l’étage compromise », « absence de dispositifs d’appels pour tous les locataires ».
- Sur l’accompagnement et la qualité des soins : « une intimité impossible lors des toilettes… » « L’accompagnement non adapté (absence de formation), les soins non appropriés. », « réalisation de soins techniques lourds par des auxiliaires de vie non spécifiquement formées ».
- Sur le fonctionnement : « un socle minimal de prestations contractuellement imposé aux habitants », « une association partielle des habitants dans les choix les concernant », « une prise en charge globale des habitants (médicale, médico-sociale) », « les documents relatifs à la situation individuelle sanitaire et administrative des locataires conservés dans un bureau plutôt que dans les espaces privatifs de chaque occupant assimilables à des dossiers de suivi »…
A mi-chemin entre l’accueil familial et l’établissement médico-social, ces dispositifs ne se sont vraisemblablement jamais inscrits dans les dispositions définissant l’habitat inclusif. Espérons alors que ces situations ne portent pas préjudice aux porteurs 3P qui s’efforcent de respecter le cadre juridique car elles pourraient avoir pour effet l’exclusion, par prudence, les projets destinés aux personnes dépendantes.
En conclusion, l’action publique doit veiller à ne pas entraver les initiatives au risque de standardiser une nouvelle offre et perdre l’élan impulsé par la loi du même nom.
La régulation est indispensable, des garde-fous doivent garantir le respect des principes de libre choix et l’accès au droit commun dans un secteur qui très marqué par la vulnérabilité.
Des ressources utiles pour avancer
En attendant l’actualisation du guide de l’habitat inclusif, un certain nombre d’outils ont récemment été diffusés. Ces documents, élaborés par divers acteurs, s’intéressent à la mesure d’impact des projets d’habitat inclusif (expérimentation collective menée par HAPI, météo du projet de vie sociale et partagée lancée par la CNSA) ainsi qu’aux outils de la vie sociale et partagée (travaux sur la charte de vie sociale et partagée du collectif habiter autrement, fiche repères sur le projet de vie sociale et partagée impulsée par la DGCS)
Expérimentation collective de mesure d’impact
L’équipe HAPI, avec l’appui du réseau HAPA, travaille depuis 2022 à l’élaboration d’un kit de mesure d’impact destiné aux porteurs de projets d’habitats inclusifs ouverts. Une vingtaine de porteurs de projets dont Familles Solidaires ont été sélectionnés pour contribuer à l’expérimentation. Cela consiste notamment à tester les outils proposés tout au long du premier semestre 2024. Ces outils seront, par la suite, mis à disposition de tous les porteurs 3P.
Météo de vie sociale et partagée en habitat inclusif
« Cet outil, proposé par la CNSA avec l’appui de Jean-Paul Raymond, vise à faciliter le suivi des projets de vie sociale et partagée des habitants vivant en habitat inclusif. Ce travail réalisé en 2022, qui a mobilisé des représentants de départements et des porteurs d’habitats inclusifs, identifie ainsi 67 indicateurs pour suivre la mise en œuvre d’un projet de vie sociale et partagée : son évolution ou son état d’avancement, ses caractéristiques, ses ajustements…
Ce document peut être utilisé autant de fois que le suivi d’un projet de vie
sociale et partagée le nécessite. »
Fiche repères « Faire vivre un projet de vie sociale et partagée en habitat inclusif : retour d’expériences et pistes d’actions »
Ce document, élaboré grâce à une démarche collaborative, vise à partager des retours d’expériences et des pistes d’action pour la mise en œuvre du projet de vie sociale et partagée (PVSP). Les travaux ont été impulsés par la DGCS (Direction Générale de la Cohésion Sociale).
Familles Solidaires a co-animé le groupe de travail qui a permis l’émergence du document aux côtés d’Hélène Leenhardt (Réseau HAPA) et de Mégane Réginal (UNAF). Ce que vous allez découvrir dans ce document :
- Retours d’expériences et pistes d’actions : Il offre des insights précieux basés sur des situations concrètes vécues en habitat inclusif.
- Invitations à la réflexion : Plutôt que de fournir des réponses toutes faites, il encourage chaque acteur à adapter l’accompagnement aux besoins spécifiques des habitants, favorisant ainsi leur pleine participation.
Ce document, richement illustré, apporte des témoignages de porteurs de projets et d’animateurs de divers horizons.
Travaux du Collectif Habiter Autrement sur la charte de la vie sociale et partagée
Familles Solidaires a eu le plaisir de participer à des travaux impulsés par le Collectif Habiter Autrement en 2023. Ils ont notamment porté sur la charte de vie sociale et partagée, outil essentiel de l’habitat inclusif permettant aux habitants et au porteur de projet de définir les règles du vivre ensemble. Composé d’acteurs de l’habitat inclusif de différents horizons, ce groupe de travail a cherché à définir les contours de la charte et identifier les thèmes récurrents qu’elle couvre. Des exemples de charte sont également proposés afin d’illustrer les travaux du collectif.
Perspectives
Aujourd’hui, plusieurs sujets préoccupent les porteurs de projet d’habitat inclusif parmi lesquels la règlementation incendie, l’augmentation des coûts de construction impactant le montant du loyer mais aussi l’absence de visibilité sur les programmations AVP. La pérennité de l’habitat inclusif est menacée par des freins juridiques, conjoncturels ou structurels qui l’empêchent souvent de trouver son modèle économique. Un certain nombre d’acteurs ont investi le champ de l’habitat inclusif allant de l’association de familles aux bailleurs sociaux en passant par les structures médicosociales, les acteurs privés lucratifs ou encore certaines collectivités. Plusieurs modèles ont émergé et ces structures ne portent pas les mêmes ambitions quant aux perspectives d’essaimage ou aux objectifs patrimoniaux et financiers. En plus des disparités liées à leur structuration interne (présence de personnel administratif, financements de types CPOM…), les porteurs de projets continuent de faire face à des inégalités territoriales dans l’attribution de l’AVP.
Des initiatives locales qui soutiennent le développement de l’habitat inclusif
Il y a sans doute des départements qui y croient plus que d’autres ! C’est le cas du 93 (Seine-Saint-Denis) qui s’est donné l’ambition de soutenir, sécuriser et accompagner l’essor de l’habitat inclusif sur ses terres. A la Direction générale en charge des solidarités dans ce même département, on retrouve justement Stéphane CORBIN, ancien Directeur adjoint de la CNSA qui avait, avec son équipe, porté la promotion de l’AVP dans ses balbutiements.
C’est Anaëlle VARVOUX, Chargée de projets habitat inclusif au sein du Département de Seine-Saint-Denis qui nous partage la politique volontariste du 93 :
« En effet, si l’aide à la vie partagée a le mérite de donner de la visibilité sur les financements disponibles en fonctionnement une fois les premiers habitants accueillis, elle n’est pas suffisante pour soutenir l’émergence de nouveaux projets. Ainsi, la tension existante sur le marché foncier en petite couronne parisienne, la recherche des équilibres économiques à trouver, la transversalité des partenariats à nouer, et la mobilisation des usagers à réaliser nécessitent un appui financier en amont pour sécuriser les acteurs dans la conduite de leurs projets.
C’est pourquoi le Département de la Seine-Saint-Denis a lancé depuis 2022 un appel à projets annuel pour « soutenir le développement de l’habitat inclusif » par un soutien financier en ingénierie et/ou en investissement. 17 projets d’habitat inclusif ont été soutenus en 2022, 14 en 2023 et 10 en 2024, via des subventions comprises entre 10 000€ et 30 000€ en ingénierie et jusqu’à 75 000€ en investissement.
Ces appels à projets ont permis d’attirer de nouveaux porteurs de projets sur le territoire et de soutenir des acteurs locaux dans le montage de leur projet. La nouvelle programmation départementale d’aide à la vie partagée en 2024 intègre 9 habitats inclusifs supplémentaires, identifiés et soutenus grâce à ces appels à projets.
En complément de ce soutien financier, les porteurs ont remonté au Département un besoin d’échanger sur leurs pratiques et d’accéder à des retours d’expérience pour mettre en œuvre au mieux leur projet. C’est pourquoi le Département, en parallèle de la mise en relation des porteurs avec les acteurs locaux pertinents, a souhaité développer un programme d’accompagnement renforcé des porteurs de projets d’habitat inclusif sur le territoire. Le premier cycle a été mis en place en 2024 avec le centre d’expertise Familles Solidaires – spécialisé dans le montage d’habitats inclusifs – qui a animé une formation de 3 jours à destination des animateurs/coordinateurs d’habitats inclusifs du territoire, une formation de 4 jours à destination des porteurs de projet, et un accompagnement individualisé pour les porteurs rencontrant des problématiques particulières. Les échanges, très riches, ont amorcé la création d’une communauté de porteurs de projet en Seine-Saint-Denis que le Département aura à cœur d’animer. »
Dans le 44, c’est une ambition similaire qui nous est confiée par Virginie COQUET, chargée de projets habitat inclusif :
Après le déploiement des habitats inclusifs, le département recherche à favoriser la pérennité des projets et la fluidité des parcours des habitants :
Le Département cherche aujourd’hui non seulement via une convention avec un réseau de l’ESS, qui a créé le labo habitat inclusif (composés de porteurs de projets, collectivités, bailleurs, acteurs de l’ESS, financeurs..) à accompagner des porteurs de projets pour monter leur projet d’habitat inclusif mais aussi à accompagner le fonctionnement des habitats inclusifs (mise en réseau et formation des professionnels dont le métier est nouveau) pour viser une pérennité des projets et assurer des solutions répondant aux besoins et aspirations des personnes. Les sujets abordés lors de ces temps avec les professionnels sont la posture professionnelle à adopter pour favoriser l’autodétermination, l’élaboration et la mise en œuvre du Projet de vie sociale et partagée et le partage de pratique pour favoriser la fluidité des parcours.
Citons également le département du Gers qui lance une aide à la production des logements sous forme de forfait :
« Forfait de 5 000 € pour un logement « classique » ou 10 000 € pour un logement conventionné en Prêt Locatif Aidé d’Intégration (PLAI) avec un plafond de 70 000 € par opération. »
L’effectivité de la loi ELAN à l’épreuve des interprétations départementales ?
Le comité de pilotage national a confié le pouvoir d’interprétation du corpus juridique [8] de l’habitat inclusif aux administrations départementales chargées de sa mise en œuvre. L’exercice de ce pouvoir doit pourtant se conjuguer avec le respect des dispositions de la loi ELAN et des textes associés (arrêté, décret, circulaire, instruction). Dans les faits, de nombreux porteurs de projet remontent des arbitrages qui ne font référence à aucun texte.
L’étude du contenu des appels à manifestation d’intérêt diffusés par les départements confirme ce constat. Par exemple, on retrouve dans un l’un de ces AMI, une orientation restrictive sur le public à qui se destine l’habitat inclusif :
Le porteur de projet doit veiller à ne pas accueillir un ensemble d’habitants avec une perte d’autonomie évoluant rapidement vers une dépendance importante. Le porteur doit anticiper les évolutions des situations individuelles, potentiellement incompatibles avec une vie en habitat inclusif et proposer aux personnes concernées une solution dans la suite de leur parcours résidentiel. Pour exemple, en formalisant un partenariat renforcé avec un ou plusieurs ESMS. A titre indicatif, l’habitat inclusif répond aux besoins des personnes évaluées avec un GIR 4 à 6.
Autant il semble fondamental que le porteur 3P anticipe « la perte de compatibilité » du vivre ensemble des habitants, autant une restriction « ab initio » d’un public dépendant questionne.
Dans un autre département, la définition du public éligible à l’AVP est bien différente :
Les personnes éligibles à l’aide à la vie partagée sont :
- Les personnes handicapées, sans limite d’âge, qui bénéficient d’un droit(s) ouvert(s) à la MDPH (AAH, PCH, RQTH, CMI, orientation ESMS, etc.) ou d’une pension d’invalidité délivrée par la CPAM, et sans condition de ressources.
- Les personnes âgées de plus de 65 ans relevant d’un Groupe Iso Ressources de 1 à 6, sans condition de ressources.
Pour bénéficier de l’aide, les personnes doivent habiter dans un habitat inclusif, dont le porteur de projet a signé une convention avec le Département. L’entrée dans un habitat inclusif est fondée sur le libre choix. Elle s’inscrit en dehors de tout dispositif d’orientation sociale ou médico-sociale (orientation MDPH ou GIR) et est indépendante de toute attribution d’aides à l’autonomie, que ce soit la prestation de compensation du handicap (PCH) ou l’allocation personnalisée d’autonomie (APA).
L’arrêté du 24 juin 2019 [9] relatif au modèle du cahier des charges national du projet de vie sociale et partagée de l’habitat rappelle que :
« Pour les personnes âgées, le recours à l’évaluation à l’aide de la grille nationale mentionnée à l’article L. 232–2 et figurant à l’annexe 2–1 du code de l’action sociale et des familles n’est pas nécessaire. »
Certains départements élaborent et imposent donc de nouvelles conditions d’éligibilité à l’AVP. Parmi les informations remontées par des prétendants à la subvention on retrouve notamment les critères d’évaluation suivants :
- le montant des loyers,
- la typologie des porteurs,
- le nombre d’habitants,
- la présence 24/24,
- le périmètre minimal dans lequel doit se situer la pièce commune
- le public (GIR 1, 2, 3, maladie cognitives)
L’Aide à la Vie Partagée est incontestablement une avancée significative pour l’habitat inclusif. Représentant le seul financement public pérenne dédié à l’habitat inclusif, l’AVP a facilité l’émergence de nombreux projets. Mais du fait de son inscription dans le Code de l’Action Sociale et des Familles (CASF), ce dispositif a également semé la confusion sur le degré de responsabilité et d’engagement des départements à promouvoir la création d’habitats inclusifs. Par conséquent, les disparités constatées dans son attribution ne permettent pas un développement équitable de l’habitat inclusif sur le territoire.
Les réalités territoriales peuvent expliquer certains traitements de faveur. Par exemple : un département qui favorise le développement de projets à destination de personnes âgées au sein de sa programmation AVP peut s’expliquer par le fait qu’il connaisse un vieillissement démographique important ou qu’il soit peu équipé en matière d’hébergement pour personnes âgées.
En Loire-Atlantique, suite à un diagnostic et un programme coordonné validés en juin 2023 dans le cadre de la Conférence des financeurs de l’habitat inclusif, (pour compléter la programmation AVP de 2022), le département a signé en mai 2024 un nouvel accord avec la CNSA et la préfecture en vue de soutenir 23 projets d’habitats inclusifs. Cette nouvelle programmation prévoit la création de 210 nouveaux logements (90 personnes âgées et 120 personnes en situation de handicap).
Cette nouvelle programmation a pour enjeux de rééquilibrer la part des projets pour personnes en situation de handicap et personnes âgées en Loire-Atlantique, tout en tenant compte des disparités territoriales.
L’offre d’habitats avec aide à la vie partagée sera à 63% (contre 66% jusqu’à présent) destinée aux personnes en situation de handicap, et à 37% (contre 34% jusqu’à présent) destinée aux personnes âgées.
Virginie COQUET, Chargée de projet habitat inclusif, Département de Loire-Atlantique
Il est en revanche plus difficile d’accepter qu’un département intègre des « frais de siège » ou frais généraux dans les dépenses éligibles à l’AVP là où d’autres collectivités le refusent. Ces disparités entrainent une inégalité de traitement entre les petites associations ou acteurs non lucratifs qui ne peuvent s’appuyer sur l’existence de moyens humains existants (salariés d’un établissement médicosocial) ou de financement dédiés (tels que les Contrats Pluriannuels d’Objectifs et de Moyens – CPOM). Les petites structures doivent trouver la trésorerie nécessaire et investiguer d’autres modes de financement.
Vers un modèle singulier pour les colocations alzheimer ?
Qu’adviendra-t-il des colocations Alzheimer si les départements n’entendent pas soutenir leur développement via l’habitat inclusif ? C’est le récent rapport de l’IGAS [10] (Inspection Générale des Affaires Sociales) qui s’attaque au sujet en formulant des propositions concrètes pour encadrer leur émergence.
Intitulé « Lieux de vie et accompagnement des personnes âgées en perte d’autonomie : les défis de la politique domiciliaire, se sentir chez soi où que l’on soit », ce rapport publié fin mars 2024, appelle notamment les pouvoirs publics à une mobilisation d’ampleur pour soutenir le maintien à domicile qu’il soit ordinaire ou alternatif. Parmi les propositions, 3 recommandations concernent l’habitat inclusif :
- Recommandation n°10 : Instaurer une obligation pour toutes les résidences, et pour les habitats inclusifs orientés sur les personnes ayant des troubles neuro-cognitifs, de disposer d’un service autonomie à domicile (SAD) intégré ou d’un conventionnement avec au moins un SAD (et avec des services de soins infirmiers quand le SAD n’en dispose pas), ainsi qu’avec une équipe d’hospitalisation à domicile et, pour les troubles neurocognitifs, de liens avec le champ spécialisé (filière gériatrique, équipe spécialisée Alzheimer) ».
- Recommandation n°11 : Créer une obligation déclarative annuelle émanant des résidences et habitats inclusifs et de leur services autonomie à domicile (SAD) de conventionnement vers les agences régionales de santé (ARS) et les départements concernant le profil et les besoins des habitants.
- Recommandation n°14 : Poser les conditions organisationnelles, financières et RH dans lesquelles des habitats inclusifs pourraient accueillir des personnes âgées présentant des troubles neuro-cognitifs (examen des expériences françaises et étrangères, risque de maltraitance, encadrement des pratiques, sécurisation des accompagnements et des lieux…) en vue de développer un véritable segment d’offre sécurisée et accessible.
L’annexe 4 du même rapport est dédiée à l’habitat inclusif. Si l’IGAS souligne les avantages de l’habitat inclusif pour les personnes en perte d’autonomie, elle considère également que l’offre reste insuffisante pour répondre aux besoins croissants. Les rapporteurs recommandent de sécuriser l’accompagnement de ces formes d’habitat en les contraignant à des normes complémentaires. Ainsi, une nouvelle catégorie d’habitat inclusif pourrait se dessiner, plus proche du modèle des Petites Unités de Vie (PUV) mobilisant des financements mixtes, à la fois domiciliaires et empruntés à l’univers médico-social. Cette catégorie « à part » d’habitat inclusif devra rentrer dans une logique partenariale importante avec le tissu sanitaire du territoire.
Depuis 2019, le cadre règlementaire de l’habitat inclusif est souvent perçu par les porteurs de projet comme une juxtaposition de briques dépourvue d’une stratégie précise et d’une vision holistique. Le rapport Piveteau-Wolfrom [11] propose un ensemble de mesures dont le législateur ne s’est finalement inspiré qu’au goutte à goutte.
En conclusion, les pouvoirs publics font face à un équilibre fragile : soutenir l’habitat inclusif sans entraver les initiatives par une régulation excessive. La régulation doit permettre de protéger les individus face aux dérives lucratives, aux abus de faiblesse et au non-respect des libertés fondamentales. La professionnalisation souhaitée du secteur ne peut s’actionner que par le soutien à des programmes d’accompagnement, le financement de l’ingénierie, la formation continue des acteurs. La diversité des montages et des projets doit être préservée pour assurer le développement continu de l’habitat inclusif en France.
« On ne peut pas tout attendre de l’Etat ». Même les porteurs de projet les plus dynamiques peuvent parfois adopter une position attentiste devant l’incertitude des politiques AVP ou l’absence d’une coordination interministérielle. Bien que l’action publique joue un rôle crucial sur l’avenir de l’habitat inclusif, il nous appartient de contrer l’inertie en combinant les efforts de chacun et en poursuivant les innovations au service de l’inclusion.
[1] https://www.cnsa.fr/sites/default/files/2024–03/cnsa_cahier_pedagogique_web_access‑2.pdf
[2] https://www.cnsa.fr/sites/default/files/2024–06/cnsa_indicateurs_suivi_habitat_inclusif_access_0.pdf
[3] https://solidarites.gouv.fr/guide-de-lhabitat-inclusif-pour-les-personnes-handicapees-et-les-personnes-agees
[4] Ces données ont été communiquées lors de la dernière réunion de l’Observatoire de l’habitat inclusif le 16 mai 2024.
[5] https://odas.net/actualites/synthese-de-lenquete-annuelle-depenses-sociales-et-medico-sociales-des-departements-en
[6] https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042673332
[7] Beaupied – Saint-Germain-du-Puch ‑Gironde (33) – 30/04/2024, Meillac – Ille-et-Vilaine(35) – 23/05/2024, Ballancourt sur Essonne – Essonne (91) – Juin 2024, Thourotte ‑Oise (60) – 23/04/2024, Comines – Nord (59) – Février 2024, Charleval – Bouches du Rhône (13) – Décembre 2021, Sailly-lez-Lannoy – Nord (59) – 20 juillet 2023, Dordives – Loiret (45) – 2006, Valorbiquet – Calvados (14) – octobre 2022, Septfonds – Tarn et Garonne – (82) – 2016
[8] La loi n°2018–1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique (ELAN), décret n° 2019–629 du 24 juin 2019, l’arrêté du 24 juin 2019 relatif au modèle du cahier des charges national du projet de vie sociale et partagée de l’habitat inclusif et l’arrêté du 11 septembre 2019 relatif au modèle du rapport d’activité de la conférence des financeurs de l’habitat inclusif pour les personnes handicapées et les personnes âgées. En complément, une instruction précise les modalités de mise en œuvre du forfait habitat inclusif. L’article L. 281–2‑1 du code de l’action sociale et des familles (CASF) permet l’ouverture d’un droit individuel à l’aide à la vie partagée (AVP) en l’inscrivant dans le règlement départemental d’aide sociale. La circulaire interministérielle n° DGCS/SD3A/DHUP/DGCL/2021/191 du 6 septembre 2021 précise le plan d’action de développement de l’habitat inclusif, notamment dans le parc locatif social. Le décret n° 2023–431 du 2 juin 2023, les articles 36, 37, 39, 40 de la loi Bien vieillir du 8 avril 2024.
[9] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000038677761
[10] https://igas.gouv.fr/Lieux-de-vie-et-accompagnement-des-personnes-agees-en-perte-d-autonomie-les
[11]https://handicap.gouv.fr/IMG/pdf/demain_je_pourrai_choisir_d_habiter_avec_vous_-tome1-rapport.pdf