Le Gouvernement ouvre une brèche dans le PLFSS21
Ce vendredi 6 novembre 2020, le Gouvernement a déposé un amendement (n°601) au Projet de loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS21). Le rapport Piveteau-Wolfrom se frayerait-il timidement un chemin pour que s’élargissent les conditions de déploiement de l’habitat inclusif, encadrées à ce jour par l’article 129 de la loi Elan et l’article L‑281 du Code de l’Action Sociale et des Familles ?
Explications :
Le développement de l’habitat inclusif constitue une réponse prometteuse pour sortir du dilemme vécu par les personnes, lorsque la vie « chez soi comme avant » n’est pas possible, et que la vie collective en établissement n’est ni souhaitée, ni nécessaire. Les différentes formes d’habitat inclusif regroupent les formules qui permettent à des personnes handicapées ou âgées de « vivre chez elles sans être seules », c’est-à-dire d’habiter chez elles (plutôt qu’en institution) tout en bénéficiant du soutien relationnel d’autres personnes ayant fait le même choix. Concrètement, il s’agit de logements ordinaires, disposant de grandes pièces communes qui permettent de partager, entre personnes vulnérables ou entre personnes vulnérables et valides, une solidarité de type familial, sécurisée en services et ouverte sur l’extérieur.
Une première impulsion a été donnée par le Gouvernement à travers la loi ELAN du 23 novembre 2018, avec la définition de l’habitat inclusif à l’article L. 281–1 du code de l’action sociale et des familles, et la création d’un « forfait pour l’habitat inclusif » à l’article L. 281–2 destiné à couvrir les frais d’animation du lieu de vie.
Le forfait habitat inclusif est attribué pour toute personne handicapée ou toute personne âgée vivant dans l’habitat inclusif. Il est versé directement au porteur de projet. Pour bénéficier de ce forfait, l’habitat inclusif doit respecter les conditions fixées dans l’arrêté du 24 juin 2019. Il convient aussi de s’assurer que la situation des habitants figure bien parmi celles identifiées dans le décret n°2019–629 du 24 juin 2019, à savoir :
- La personne handicapée majeure bénéficie d’une AAH 1 ou 2, d’une PCH, d’une ACTP, d’une orientation vers un service ou un établissement social ou médico-social ou d’une pension d’invalidité de 2ème et 3ème catégorie ;
- La personne âgée bénéficie d’un classement GIR compris entre 1 et 5.
Le montant du forfait est variable selon le niveau d’intensité du projet de vie sociale et partagée, qui se mesure de la façon suivante :
- Le temps de présence du ou des professionnels chargés d’animer la vie sociale et partagée ;
- La nature des activités mises en place dans le cadre du projet de vie sociale et partagée ;
- Les partenariats organisés avec les acteurs locaux pour assurer la mise en œuvre du projet.
Le montant peut varier entre 3000 € et 8000€ par an et par habitant. Le décret plafonne également le montant du forfait par projet d’habitat inclusif à 60 000€ et indique la possibilité d’une période de vacance de 3 mois lorsqu’un habitant quitte l’habitat inclusif, sans que cela n’occasionne de retenue sur le montant du forfait.
Le forfait habitat inclusif finance la rémunération d’un animateur mais il peut également financer à la marge le petit matériel nécessaire à la mise en œuvre du projet de vie sociale et partagée (matériel de jardinage par exemple, jeux de société, etc.). Il ne peut en aucun cas financer des investissements importants (tels que l’achat d’un véhicule pour favoriser la mobilité), des crédits d’ingénierie ou encore le loyer du local commun.
=> Référence au décret du 24 juin 2019 et à l’annexe 2 de l’instruction : https://www.legifrance.gouv.fr/download/pdf/circ?id=44860
Le porteur du projet global d’habitat inclusif doit être sélectionné par l’ARS dans le cadre d’un appel à candidatures. Afin de renforcer la cohérence des financements et la lisibilité des modalités de soutien pour les porteurs de projets, l’ARS est incitée à mettre en place cet appel à candidatures conjointement avec d’autres membres de la conférence des financeurs de l’habitat inclusif.
Ce que propose l’amendement 601 :
http://www.senat.fr/amendements/2020–2021/101/Amdt_601.html
Après l’article L. 281–2 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un article L. 281–2‑1 ainsi rédigé :
- Art. L. 281–2‑1. Le règlement mentionné à l’article L. 121–3 peut prévoir que les habitants d’un habitat inclusif auquel n’est pas attribué le forfait mentionné à l’article L. 281–2 bénéficient d’une aide à la vie partagée leur permettant de financer le projet de vie sociale et partagée, versée directement à la personne morale chargée d’assurer le projet de vie sociale et partagée.
- Le bénéfice de l’aide est subordonné à la signature, au titre des logements concernés, d’une convention entre le département et cette personne morale.
- Un accord pour l’habitat inclusif, passé entre le département et la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), fixe les conditions, portant notamment sur le montant de l’aide et ses conditions d’attribution, qui ouvrent droit au versement par la caisse, au titre du 4° de l’article L. 14–10‑5, d’un concours pour le financement des dépenses départementales d’aide à la vie partagée.
- Cet accord peut prévoir d’autres engagements en matière de développement de l’habitat inclusif ou de politiques venant à son soutien. A ce titre, il peut être également signé par le représentant de l’État dans le département ou le directeur général de l’agence régionale de santé.
- À titre transitoire, l’accord prévoit que, pour tout ou partie des conventions mentionnées au deuxième alinéa qui sont signées avant le 31 décembre 2022, le concours mentionné au troisième alinéa garantit, pour la durée de la convention, la couverture des dépenses d’aide à la vie partagée à un taux, fixé par l’accord, d’au moins 80 % de la dépense du département. »
Les évolutions par rapport au forfait habitat inclusif actuel :
Il semblerait que « L’aide à la vie partagée » se substitue au « forfait habitat inclusif » en élargissant l’éligibilité à tout habitant (personne vulnérable et personne valide) d’un habitat inclusif dont la personne morale a passé, pour cet habitat, une convention avec le département. Le financement serait partagé entre le département signataire de la convention, et la CNSA. Cette dernière garantirait la couverture de tout ou partie des conventions signées avant le 31/12/2022 à un taux d’au moins 80%, dans un objectif de financement clairement affiché de 20 M€ dès 2022, soit environ 500 projets de 5 à 10 logements sur l’ensemble du territoire.
La convention avec le département pourrait contenir d’autres engagements en matière de développement de l’habitat inclusif.
Analyse :
Un pas conséquent principalement en faveur de la prévention de la perte d’autonomie
L’élargissement du public éligible à ce forfait rebaptisé « aide à la vie partagée » marque clairement la volonté de ne plus distinguer les habitants entre eux selon leur fragilité. Il semble ne plus y avoir aucun critère d’âge ni de handicap. L’idée étant de les réunir autour d’un projet de vie essentiellement fondé sur leur mode d’habitat (le « vivre ensemble »), reposant sur un collectif solidaire et sécurisant pour tous (valides et non valides). Il favorise la mixité sociale et le développement de projets intergénérationnels.
Rappelons que l’habitat inclusif mentionné à l’article L. 281–1 du code de l’action sociale et des familles (CASF) est « destiné aux personnes handicapées et aux personnes âgées qui font le choix, à titre de résidence principale, d’un mode d’habitation regroupé, entre elles ou avec d’autres personnes ». L’octroi d’une aide à la vie partagée « élargie » à tout public ne semble donc pas incompatible avec cette définition.
On peut toutefois s’interroger sur le bénéfice de cet élargissement. Sera-t-il profitable prioritairement aux personnes non dépendantes, à celles qui ont simplement besoin d’être soutenues dans leur autonomie (à l’instar des résidences services qui se déploient massivement en France pour les personnes de plus de 60 ans), ou permettra-t-il de faire émerger des projets dont la mixité sera réellement constatée, encourageant les personnes déjà vulnérables (éligibles au forfait actuel) à « sauter le pas » de leur domicile individuel ou de leur institution vers cette troisième voie ?
Ne perdons de vue que ce dispositif sert aussi à décloisonner et à désinstitutionnaliser pour favoriser l’inclusion en milieu ordinaire des personnes dépendantes…
L’introduction timide du rapport Piveteau-Wolfrom (P‑W) dans la loi :
L’amendement fait apparaitre des contours « en demi-teinte » de la mission confiée à Denis Piveteau et Jacques Wolfrom, et ne va pas aussi loin que ces derniers le préconisent :
L’aide proposée est toujours destinée à la personne morale porteuse du projet, et non à l’habitant lui-même, ce qui n’est pas l’esprit du rapport P‑W.
La LFSS21 nous oriente-t-elle vers un Canada Dry© de l’AVP d’origine ?
Même s’il est bien évident que le passage vers une aide individuelle ne pourrait se faire qu’en douceur (la mission propose une transition en 4 ans), force est de constater que le porteur de projet reste encore seul bénéficiaire de cette aide. Une aide individuelle accordée à chaque habitant éligible permettrait une plus grande liberté de choix entre les logements qui pourraient être « homologués API (Accompagné, Partagé et Inséré dans la cité) ». Ainsi, ces derniers seraient amenés à se déployer en plus grand nombre. Par ailleurs, comme le souligne également le rapport P‑W, les deux financements (forfait habitat inclusif pour les porteurs de projet, et aide à la vie partagée pour les personnes individuelles) pourraient tout à fait coexister le temps d’évaluer l’efficacité des deux dispositifs (Page 38, NBP 19 du rapport P‑W).
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L’amendement n’évoque pas l’élargissement possible de l’activité financée, alors que le rapport P‑W propose clairement d’élargir la fonction d’animation à la fonction de coordination faisant terriblement défaut dans les dispositifs d’habitats inclusifs existant à ce jour. Cette fonction n’a pas vocation à être couverte par l’APA (aide personnalisée à l’autonomie) ni par la PCH (prestation de compensation du handicap). L’incertitude la plus totale demeure à ce stade, sur le financement d’un poste (pourquoi pas mixte animateur-coordinateur ?) au-delà de la stricte fonction de l’animation du projet de vie dans les habitats inclusifs. Mais finalement, dans la mesure où l’amendement évoque l’élargissement aux personnes non vulnérables, le besoin de coordination des acteurs extérieurs pour les personnes dépendantes (médico-sociaux, paramédicaux, associations, aidants familiaux) semble mécaniquement moins « apparent », et pourtant il est bien réel !
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L’amendement évoque la possibilité pour le Département de conventionner autour d’autres engagements en matière de développement de l’habitat inclusif, sans toutefois préciser de quel type d’engagement il s’agit. Rappelons que de nombreux Conseils Départementaux et ARS (agences régionales de santé) distribuent déjà des enveloppes budgétaires distinctes du forfait habitat inclusif aux porteurs de projet (notamment en subvention d’investissement), mais de façon très disparate selon les territoires. Un texte règlementaire plus précis apporterait clarté et uniformité des financements nécessaires pour les porteurs de projet, notamment en terme d’investissements immobiliers et d’ingénierie du projet en phase amont.
La dynamique partenariale se renforce
Un financement bipartite entre le département et la CNSA est évoqué dans l’amendement, permettant d’enclencher une véritable démarche partenariale avec le porteur de projet dans le cadre d’une convention. Le coup de pouce de la CNSA à hauteur de 80 % des financements de l’aide à la vie partagée est également remarquable, et marque la volonté forte de déployer une offre de logement adaptée au projet d’autonomie des personnes, quels que soient leur âge et leur situation.
Une impulsion forte mais toujours expérimentale
24 mois : c’est la durée fixée de la phase de test, et également la durée du financement évoqué, afin de mesurer le dynamisme des acteurs de l’habitat inclusif. Serait-ce également le temps nécessaire aux acteurs du logement social « classique » pour adapter leur offre au dispositif « AVP » proposé par l’amendement, facilité par l’éligibilité à tout public, transformant plus rapidement la gestion de logements dits « ordinaires » en habitats inclusifs dotés de quelques personnes fragilisées mais non véritablement dépendantes…? Gageons que le futur projet de loi « Grand Age et Autonomie » détermine de façon plus précise les conditions de financement envisagées. Gageons aussi que les Conseils départementaux et ARS « veillent au grain » lors de la sélection des porteurs de projets…
Les éléments de mises en œuvre concrètes restent à définir
Le conventionnement sera-t-il toujours consécutif à un appel à candidature ? Quel sera le montant de l’aide et sur quelle durée pour le porteur de projet ? Comment sera évalué le degré de vie partagée ? Comment la mixité entre les personnes vulnérables et les personnes valides sera-t-elle définie, et dans quelle proportion ? De nombreuses questions sans réponses, il est évidemment trop tôt et hors sujet de les évoquer dans un projet de loi de financement de la sécurité sociale, mais bon, ici on s’impatiente un peu quand même 🙂
Conclusion :
Malgré les zones d’ombres, on ne peut que saluer l’initiative de cet amendement 601 déposé par le Gouvernement, visant à modifier l’article 16 du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Parce que sans cet amendement, aucune allusion au déploiement de l’habitat inclusif ne serait véritablement faite dans la loi, au grand dam de tous les porteurs de projets qui sont dans l’attente d’une ®évolution en matière de déploiement. Un premier pas notoire donc pour obtenir des nouveaux financements …
A ce stade, l’amendement n’est pas voté, les débats parlementaires étant prévus la semaine prochaine (Discussion en séance publique les 9, 10, 12, 13 et 17 novembre 2020).
Je reste toutefois sur ma faim. Cet amendement aurait pu aller encore plus loin, s’inspirant davantage des mesures proposées dans le rapport P‑W, y intégrant les éléments qui ont fondamentalement du sens pour les personnes âgées et les personnes en situation de handicap, sans perdre de la substance et de l’esprit du rapport P‑W et la visée de déploiement.
Quelle que soit l’issue du débat parlementaire, il est évident que les attentes s’orientent davantage vers le projet de loi « Grand âge et autonomie » annoncé pour la fin 2020 ou le début 2021. Dans son rapport relatif à la création de la branche autonomie, Laurent Vachey évoque les mesures proposées dans la mission Piveteau-Wolfrom, mais sans vraiment approfondir. A ce stade de la rédaction du futur texte législatif sur la 5eme branche, rien ne s’oppose à l’introduction de mesures concrètes.
Passons aux actes et allons encore plus loin : l’ouverture au champ des personnes non dépendantes dans l’unique objectif de prévenir de la perte d’autonomie (indispensable au demeurant) ne saurait satisfaire tous ceux qui appellent au développement massif d’une nouvelle solution plus respectueuse du mode d’habitat et du mode d’accompagnement des fragilités confirmées, offrant souplesse, accessibilité aux aides, et liberté de choix.
Article rédigé par Bernadette Paul-Cornu – Codirigeante du Groupe associatif Familles Solidaires